Anthropologie de la morale publique

Qu'est-ce que la morale - Introduction

La théorie de la morale publique peut être comprise comme un cadre normatif qui dépasse les consciences individuelles et organise la vie collective. Elle n’est pas une simple addition de règles personnelles, mais un fait social structurant, qui engage à la fois le droit, la religion, l’économie et la culture.

Argument n° 1 : La morale publique comme fait social structurant

Depuis Durkheim (1893) , la morale publique est pensée comme un fait social qui excède les subjectivités individuelles et s’impose à elles. Mauss (1925) a montré qu’elle constitue un « fait social total », mobilisant des dimensions multiples : juridiques, religieuses, économiques, symboliques.
Exemple : au XIXᵉ siècle, l’interdiction publique du blasphème n’était pas seulement une prescription religieuse, mais une manière de sacraliser l’ordre social, comme l’a montré Bourdieu (1977)

Argument 2 : La morale publique comme principe de justice et de délibération

Une autre approche voit la morale publique comme fondée sur la rationalité. Rawls (1971) propose la notion de « raison publique », fondée sur des principes de justice acceptables par tous les citoyens libres et égaux. Habermas (1992) , quant à lui, insiste sur la rationalité communicationnelle : ce n’est pas le contenu substantiel des règles qui importe, mais le processus délibératif par lequel elles se construisent.
Exemple : les débats parlementaires sur la bioéthique ne cherchent pas seulement à voter une loi, mais à élaborer une normativité partagée.

Argument 3 : La morale publique comme technologie de pouvoir

Cependant, cette vision abstraite est critiquée par une perspective généalogique. Foucault (1976) montre que la morale publique ne relève pas d’une transcendance, mais de technologies de pouvoir qui produisent des sujets disciplinés.
Exemple : l’hygiénisme du XIXᵉ siècle – obligation de vaccination, réglementation des égouts, contrôle des maisons closes – illustre comment une norme médicale devient en même temps un impératif moral (Vigarello, 1993)

Argument 4 : La performativité symbolique de la morale publique

Butler (1997) souligne que l’énonciation de la morale publique est toujours un acte de pouvoir : elle inclut certains groupes tout en en excluant d’autres.
Exemple : les débats en France sur le port du voile islamique montrent comment, au nom de l’universalisme républicain, une norme se constitue qui stigmatise certaines identités (Scott, 2009)

Argument 5 : La pluralité des régimes de justification

Enfin, Boltanski et Thévenot (1991) montrent que la morale publique n’est pas homogène : elle est polyphonique, issue de la confrontation entre plusieurs régimes de justification (cité industrielle, civique, domestique, etc.).
Exemple : dans un conflit social autour d’une usine polluante, certains invoquent l’efficacité économique (cité industrielle), d’autres la santé publique (cité civique), et d’autres encore la protection de la communauté locale (cité domestique).

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